Prime SNCF pour les non-grévistes, que dit le Droit du travail ?

En France, le droit de grève fait juridiquement partie des bijoux de famille. Et pour cause, le droit de grève est directement inséré dans le préambule de la constitution de 1946 [1], ayant valeur constitutionnelle.

Il n’y a donc pas plus haut dans la hiérarchie des normes !

Du point de vue salarié, le Code du travail fixe un cadre simple à comprendre mais aux contours pas toujours simple à appréhender : Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L. 1132-1 en raison de l’exercice normal du droit de grève [2].

Et, pour enfoncer le clou, le Code du travail rappelle que l’exercice du droit de grève ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux [3].

En résumé, un salarié ne peut subir une mesure discriminatoire, au seul motif qu’il ait pu participer à une grève.

Récemment, on a pu apprendre sur les réseaux sociaux que la SNCF aurait versée une prime aux salariés non-grévistes, accompagnée d’un courrier de remerciements pour leur professionnalisme, et grande disponibilité durant le mouvement de grève massif que nous avons connu en décembre dernier contre la réforme du système des retraites.

Dès lors, n’est-ce pas là une mesure discriminatoire prohibée par le Code du travail ?

Maître Jean-Bernard BOUCHARD, avocat au Barreau de Paris en droit du travail et chargé d’enseignements à l’Université, vous apporte quelques éléments d’éclairage.

A l’évidence, la réponse à cette question est clairement oui !

Le fait de verser une prime exceptionnelle uniquement aux salariés non-grévistes pour les remercier de ne pas avoir fait grève, c’est tout simplement mettre en place une mesure salariale dont les conditions d’attribution seraient uniquement motivées par l’exercice ou non du droit de grève… CQFD !

Bien évidemment, cette question n’est pas nouvelle, et a également fait l’objet de moultes décisions de justice.

Il ressort de ces décisions un rappel évident au principe d’interdiction des mesures discriminatoires. Cependant, quelques exceptions peuvent les justifier, et il convient de les étudier.

  • D’une part, l’employeur peut tenir compte des absences des salariés – même en raison de la grève – pour accorder une prime exceptionnelle s’il tient compte de toutes les absences et non uniquement celles liées à la grève [4].
  • D’autre part, l’employeur peut décider de verser une prime exceptionnelle aux salariés non-grévistes non pas en raison de leur non-participation à la grève mais pour une raison objective : un surcroît d’activité [5].

Il ressort donc de ces éléments, que seules des raisons objectives, indépendantes de l’exercice du droit de grève, peuvent justifier ce qui pourrait s’apparenter à une mesure discriminatoire. Dans tous les autres cas de telles mesures sont prohibées.

Concernant le cas de la SNCF, il ne semble pas qu’au regard des informations qui ont été diffusées sur les réseaux sociaux qu’il soit fait clairement mention sur le courrier d’accompagnement d’un surcroît de travail, ou que toutes les absences ont été prises en compte pour octroyer la prime… Dans ces conditions, l’attribution de cette prime aux seuls salariés non-grévistes ressemble purement et simplement à une mesure… discriminatoire !

[1alinéa 7 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946

[2Article L. 1132-2 du Code du travail

[3Article L.2511-1 du code du travail

[4Cass. soc. 23 juin 2009, 4 espèces : n° 07-42.677 ; n° 07-42.678 ; n° 07-42.679 ; n° 08-42.154

[5Cass. Soc. 3 mai 2011, n°09-68.297 « Attendu que constitue une mesure discriminatoire l’attribution aux seuls salariés non-grévistes d’une prime exceptionnelle ne correspondant pas à un surcroît de travail  »