Responsabilité des banques et prescription

BANQUE CREDITS RESPONSABILITE PRESCRIPTION

Quand, comment et pourquoi peut-on engager la responsabilité de la banque qui a accordé un crédit ?

Maître Emmanuel LEBLANC, avocat au Barreau de l’Essonne, vous aide à comprendre ce que l’on entend par responsabilité du banquier.

Il faut comprendre que derrière la responsabilité du banquier se cache souvent la question de savoir si le banquier devait ou non accorder un crédit à l’emprunteur.

En effet, bon nombre d’emprunteurs reprochent aux établissements de crédit de leur avoir accordé un crédit disproportionné à leurs facultés de remboursement ou tout simplement inadapté.

Il sera tout d’abord rappeler que le banquier n’a pas à s’immiscer dans la gestion des affaires de son client [1].

Dès lors, il n’appartient pas aux établissements de crédit de vérifier la réalité du motif évoqué par son client pour la conclusion du contrat de crédit.

De même, il n’appartient pas au banquier d’intervenir pour empêcher son client d’accomplir un acte qu’il estimerait irrégulier ou peu opportun.

L’on comprend donc qu’un emprunteur ne pourra engager la responsabilité de son banquier au motif que celui-ci ne l’a pas renseigné sur l’opportunité d’une opération.

Surtout, derrière cette question de la responsabilité des banquiers se trouve la question des devoirs d’information et de mise en garde et les qualifications d’emprunteurs avertis ou non.

Le devoir d’information est commun aux emprunteurs avertis et non avertis. Il passe par la communication à ces derniers d’une information exhaustive, objective et neutre sur l’opération envisagée, leur permettant d’appréhender parfaitement les conditions de l’emprunt.

Le devoir de mise en garde ne concerne en revanche que l’emprunteur non averti, et oblige le banquier à alerter celui-ci sur ses capacités financières et surtout sur le risque d’endettement induit par le crédit.

L’objectif poursuivi est ainsi de permettre à l’emprunteur de mesurer les conséquences néfastes possibles de l’emprunt et, le cas échéant, de lui permettre de renoncer à l’opération si celle-ci lui semble trop risquée.

En cas de manquement avéré du banquier dispensateur de crédit à son devoir de mise en garde, ce dernier expose sa responsabilité civile contractuelle sur le fondement de 1231-1 du Code civil à l’égard de l’emprunteur, lequel subi selon la jurisprudence un préjudice du fait de la perte de chance de ne pas contracter l’emprunt [2].

La nécessité pour un banquier de mettre en garde son client suppose la réunion d’au moins deux éléments cumulatifs qui justifient son existence et son intensité.

Le premier élément résulte de la qualité de l’emprunteur.

Pendant longtemps, la jurisprudence distinguait l’emprunteur professionnel au profane. Pourtant, cette distinction était inadaptée. En effet, un professionnel pouvait s’avérer être un parfait profane et un profane pouvait être en réalité une personne avertie.

La nouvelle distinction porte donc sur le caractère averti ou non de l’emprunteur. Cette distinction se réfère plus aux compétences de l’emprunteur. Si cette distinction semble assez délicate à mettre en pratique, elle repose sur des éléments beaucoup plus subjectifs touchant à l’appréciation des compétences de l’emprunteur.

Toutefois, cette nouvelle distinction permet aux établissements de crédit de pouvoir rapporter la preuve qu’ils n’étaient pas tenus par un devoir de mise en garde.

Plusieurs indices sont pris en considération, tel que la profession, la fréquence des opérations, le montant du crédit…

Le second élément résulte du risque d’endettement pour l’emprunteur. La situation patrimoniale de celui-ci détermine si le crédit était justifié par rapport à sa capacité financière [3].

Ainsi, en l’absence de ces éléments, le banquier sera tenu à un devoir de mise en garde à l’égard de l’emprunteur.

La question qui se pose alors est désormais celle de savoir quel est le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contre la banque qui n’aurait pas respecté ses obligations.

En effet, s’il ne fait aucun doute que la prescription est de 5 ans, la question de son point de départ s’est posée à de multiples reprises.

Par plusieurs décisions, la Chambre commerciale de la Cour de cassation semblait poser le principe selon lequel, en matière de manquement par un banquier à son devoir de mise en garde, le point de départ de la prescription se situait au jour de la réalisation du dommage (perte de chance de ne pas contracter ou de contracter dans d’autres conditions) se manifestant dès l’octroi du crédit, c’est-à-dire dès la signature du contrat [4].

La Première Chambre civile de la Cour de cassation semblait quant à elle plus disposée à considérer que le point de départ de cette prescription se situait à la date à laquelle l’emprunteur avait eu connaissance du dommage [5].

La Chambre Commerciale de la Cour de cassation vient d’opérer un revirement de jurisprudence.

En effet, par un arrêt du 22 janvier 2020 (pourvoi n°17-20819), celle-ci est venue préciser que :

« le dommage résultant du manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt consiste en la perte d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, ce risque étant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, de sorte que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face ».

Le point de départ de la prescription d’une action en responsabilité d’une banque est donc amplement reporté, protégeant ainsi un peu plus l’emprunteur.

Le cabinet BOUCHARD-LEBLANC se tient à votre disposition pour toute question relative à la responsabilité des banques.

[1Cass., com., 11 mai 1999

[2Cass. Com. 20 octobre 2009, n° 08-20274

[3Cass. 1ère Civ. 30 avril 2009, n°07-18334

[4voire par exemple Cass. Com, 26 janvier 2010, pourvoi n°08-18354 et Cass. Com, 3 décembre 2013, pourvoi n°12-26934

[5Civ. 1ère, 16 janvier 2019, n°17-21218